« La laïcité, un choix résolu de sens de l’histoire. »

1- La laïcité, enjeu de nouvelles conquêtes de droits pour les peuples.

La laïcité, comme projet politique, économique et social, est sans aucun doute le grand enjeu de ce début du 21e siècle, face ; à la montée en puissance des intégrismes tel qu’en Turquie avec l’élection du premier président islamiste de ce pays ; à l’accroissement des inégalités, alors que le dernier rapport de la FAO explique (l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) que la pauvreté continue de se développer dans un monde de plus en plus riche, richesses entre les mains de quelques-uns, avec 854 millions de personnes sous-alimentés sur la planète ; à la crise de la démocratie qui ne semble être qu’une fausse bonne conscience mise au service d’une logique mondiale soumettant aux pays riches les pays pauvres ; à la guerre devenue l’instrument de remodelage d’un monde unipolaire sous la houlette d’une Amérique dominatrice et agressive. Les projets du capitalisme mondialisé ne laissent pas de doute, cela devrait continuer, à moins que les peuples sérieusement ne s’en mêlent.

Le rejet de la Constitution européenne en mai 2005 a été un bel exemple, en France, de réaction du peuple face à ce mouvement. Il a alors été porté un coup essentiel au projet politique qui se cachait derrière ce projet constitutionnel, à savoir, faire passer à l’Europe politique le cap qui lui manquait afin qu’elle joue pleinement son rôle de superstructure de la mondialisation sur le vieux continent européen. Si elle avait été adoptée, elle aurait été sans aucun doute le déclencheur d’une accélération de la remise en cause des acquis sociaux, des services publics et d’une dérégulation du rôle de modérateur des Etats-Nation vis-à-vis d’une économie de plus en plus libérale. Cet acte de haute valeur historique, matérialisant la voie du peuple jusqu’alors inaudible, n’a pas trouvé malheureusement à se concrétiser dans une représentation politique porteuse d’un projet nouveau à la mesure du coup ainsi porté au capitalisme, de la colère et du désir de révolte, de changement, qui y étaient sous-jacents.

A gauche, c’est la confusion et l’absence de tout projet remettant en cause sérieusement l’omnipotence du libéralisme, aucune alternative construite au capitalisme n’est à l’ordre du jour y compris au Parti communiste empêtré dans ses contradictions entre le désir rêvé d’être révolutionnaire et un « réalisme » électoral qui le mine, toujours prêt à gouverner avec un PS gestionnaire du système. La crise du politique, c’est-à-dire de la représentation, continue de saper la vie politique française alors que les intérêts de la nation, du peuple, sont orphelins de toute représentation. C’est le système des partis qui est remis en cause à travers la dérive de la bipolarisation et le discrédit que cette situation jette sur la démocratie.

Pendant ce temps, la droite au pouvoir gouverne ainsi sans complexe, sous le signe de l’ouverture dont la confusion est rendue possible grâce à l’état de la gauche précité. Elle mène une attaque frontale contre le monde du travail alors que 68% des Français jugent inefficace son action contre la vie chère et en faveur du pouvoir d’achat qui n’a augmenté que de 0,8% en un an selon l’INC (L’Institut national de la consommation). Le Président de la République a choisi l’Université d’été du MEDEF pour présenter sa feuille de route économique centrée sur la baisse des charges et des impôts pour les entreprises et plus de flexibilité pour ceux qui vivent de leur travail. C’est Jacques Attali, ex-conseiller du Président Mitterrand, qui préside à la demande de Nicolas Sarkozy, une commission gouvernementale sur la croissance, une croissance qui selon les patrons ne peut être relancée sans enlever des droits aux salariés. Laurence Parisot, Présidente du MEDEF, qui appelle de ses vœux une réforme du marché du travail, le passage de l’âge de la retraite à 62 ans, la suppression de l’impôt sur la fortune (ISF), entend « faire comprendre et accepter à l’ensemble des Français ce qu’est une politique économique de l’offre » ; autrement dit centrer l’économie sur la libéralisation de la concurrence en tournant le dos à une politique du pouvoir d’achat. Pour elle, il n’est question, face aux règles du capitalisme et de la mondialisation, que de « Jouer le jeu ». Elle déclare, dans un entretien au journal Le Monde, concernant la politique du gouvernement en la matière  : « Le président de la République met la France en mouvement, au niveau de la vitesse du monde », ajoutant même « je dis ‘génial! » (Associated Press, le 29.08.07) Le nouveau Traité constitutionnel européen qui doit être adopté dans notre pays par voie parlementaire et non référendaire, s’inscrit dans cette continuité d’une croissance au service des plus riches réalisée sur le dos des peuples.

Il n’existe pas à ce jour de réponse politique à la hauteur d’un projet de transformation sociale proposant une véritable perspective d’alternative au capitalisme, créant les bases d’une mobilisation des forces populaires que ce soit dans notre pays ou ailleurs, même si des choses intéressantes se mènent en Amérique latine aujourd’hui qui ne sont pas à négliger. Mais est-ce bien étonnant, alors que les espoirs d’émancipation des peuples créés par l’ambition libératrice du communisme ne se sont pas encore remis de sa chute ?

Nous sommes dans une période historique où la question clé est celle de poser un nouveau cadre de pensée et d’action, après cette expérience déchue, à l’exigence de la transformation sociale, et la laïcité est un projet porteur de ce point de vue d’une véritable révolution, préalable et moyen pour un nouveau monde.
La laïcité ne réduit pas son rôle à la question de la citoyenneté, elle n’aurait pas de sens si elle devait rester enfermée dans un modèle politique ignorant les enjeux sociaux, car si elle est politique, c’est que son projet égalitaire est destiné à concerner l’ensemble de la société, les questions économiques et sociales, c’est même par-là que la citoyenneté dont elle est porteuse prend tout son sens. Elle est l’outil par lequel les Etats-Nation représentants réellement leurs peuples, peuvent faire entendre leurs voix sur un même pied d‘égalité, autour des mêmes droits et intérêts communs. Le projet d’une République laïque et sociale est ce cadre premier qui devrait servir de référence à tout nouveau projet de changement de société, et c’est donc dans cette direction qu’il faut travailler, et à l’échelle du monde.

Derrière l’histoire des civilisations se dégage une succession de prises de conscience dont la laïcité est une des formes les plus abouties de l’humanisme, permettant de dépasser la guerre des races, des classes, par la promotion de l’égalité des droits. Elle apparaît ainsi comme la conception des rapports humains la plus prometteuse de paix, à promouvoir, de la façon dont elle le fait, l’égalité. C’est l’incitation à se penser ensemble sans rien renier de nos individualités, origines et différences, mais un espace d’intérêts communs de réciprocité qui féconde l’intérêt général. La laïcité est l’enjeu majeur pour l’homme de la prise de conscience de son potentiel d’évolution, de cette faculté supérieure qui lui est propre à choisir la forme et la conduite de sa société, à donner du sens à son existence à travers une humanité de libertés. La laïcité est donc sous ce jour un facteur de progrès sans précédent appelé à nourrir un nouvel ordre mondial. La laïcité apparaît face à cette situation comme la seule boussole, sans ambiguïté, du combat porteur des émancipations à venir.

2- L’illusion de la défense du droit des minorités comme instrument de résistance à la mondialisation.

Ainsi, la laïcité est un combat républicain qui transcende les clivages politiques. Elle semble devoir être naturellement portée par la gauche et est parfois attaquée par elle. Un certain altermondialisme croit voir dans le regain d’un « islam politique » la juste revanche d’un « rejeton du passé colonial » incriminant la république, d’autant que celui-ci se présente biaisement comme en guerre contre l’Amérique. En réalité, ce sont des Monarchies et le capitalisme qui ont fait le colonialisme contre les valeurs profondément humaniste dont est habitée la république. Il croit encore voir dans les revendications du droit à la différence porteuse de la différence des droits un nouvel ordre juste, et même un moyen de résister par le multiculturalisme au libéralisme, alors que ce dernier ne rêve de rien d’autre que des peuples ignorants leur intérêt commun, divisés à l’infini en minorités de droits. Le concept fondateur de l’altermondialisme, « penser global et agir local », se traduit alors par la généralisation des luttes pour l’obtention de la reconnaissance des minorités tournée en fait contre les peuples eux-mêmes.

De la même façon, l’opposition entre le « Nord » riche et le « Sud » pauvre, véritable grille de lecture des relations internationales et de la place de l’immigration dans les sociétés, procède d’une opposition artificielle entre des peuples qui subissent la même logique destructrice et ont les mêmes intérêts de classe. A travers cette idéologie on oppose pour diviser à droite, et à gauche, on se donne ainsi bonne conscience sans rien résoudre. La culpabilité que l’on jette ainsi sur les peuples dit du « Nord riche » où sont amalgamés l’ouvrier et le Nabab, n’est faite que pour nuire à leur capacité de résistance face aux coups portés contre leurs acquis sociaux qui devraient servir de base pour un monde meilleur au « Nord » comme au « Sud ». On va même jusqu’à présenter ceux-ci comme des biens communs honteux, fruits du colonialisme et des profits de l’esclavage, comme si ces fléaux avaient le moins du monde profité au « nombre » alors qu’ils servirent seulement à gonfler les fortunes privées et à faire les carrières politiques de quelques-uns.

C’est exactement dans ce sillon que le capitalisme développe la philosophie de sa domination du monde, celle du sens de l’histoire qu’il veut lui imprimer. Comme le projet de Constitution européenne entendait défendre la reconnaissance des cultures en l’opposant à l’égalité, on veut promouvoir la diversité des expressions culturelles au nom de les protéger, nouvel instrument juridique international. Il s’agit de mettre en œuvre cette idée pour le patronat en la mettant à la main de la mondialisation, en s’appuyant sur la Déclaration universelle de l’UNESCO (novembre 2001) selon laquelle la diversité culturelle doit être considérée comme « un patrimoine commun de l’Humanité », figeant les expériences dans des identités comme si on voulait arrêter les peuples dans l’évolution de leur histoire. On parle ainsi de « mondialisation culturelle ». Comme le MEDEF y invite, « les entreprises ont tout intérêt à s’en emparer dans le cadre de la mondialisation » en mettant en oeuvre « un nouveau style de management international fondé sur la reconnaissance et la prise en compte des différences culturelles » qui « voit le jour dans de nombreuses entreprises » (…) « En intégrant la diversité culturelle dans leurs fondamentaux, les entreprises établissent un lien entre mondialisation économique et mondialisation politique » (le Monde, 29 août 2007). On ne saurait être plus explicite. Derrière une vitrine vertueuse il s’agit en réalité de procéder à la mise en formatage des sociétés sous le modèle du communautarisme qui doit assurer au capitalisme mondialisé la pérennisation de sa domination.

3- Le combat laïque pour l’égalité ressort du sens de l’histoire.

Ce n’est pas en encourageant les replis sur une culture, une couleur ou une religion que l’on construira la résistance et le contrepoids nécessaire à la mondialisation capitaliste actuelle. Peu ou prou, toutes ces oppositions ne servent finalement qu’un dessein, celui de faire écran à la prise de conscience par les peuples des enjeux de classes qui transcendent ces notions d’espaces et ces étiquetages, elles servent à la division de leurs forces qui est crainte, et que la grande idée qui habite la laïcité est seule à pouvoir réunir. Cette capacité, la laïcité la tient du fait de porter l’égalité des droits devant la citoyenneté au-dessus de toutes différences. Il ne s’agit évidemment pas de les nier, mais de leur interdire le pouvoir politique afin qu’aucune ne cherche à prendre le pouvoir contre les autres en imposant dogme et violence, retirant leur fond de commerce aux intégrismes, seule voie pour permette à celles-ci de vivre en bonne intelligence tout en pouvant ainsi évoluer à l’ombre de l’expérience et des émancipations en marches. C’est aussi lutter contre les communautarismes qui tuent le politique par le clientélisme.
On voit tout l’enjeu que doit relever ici la laïcité, car ce n’est qu’à travers elle, comme projet politique poussé jusqu’au bout, c’est-à-dire le projet égalitaire qui est le sien, de proposer aux hommes l’ambition d’être des égaux devant leurs possibles, que les réponses nouvelles trouverons à se dégager. Il faut mettre au centre de la laïcité une démocratie vivante, mettant le bien commun sous le sceau de la souveraineté des peuples, garante de toute chose. Les moyens mis en œuvre dans la lutte pour le bonheur et le progrès doivent être comme l’énoncé du but, en rejetant toute idée de pouvoir autoritaire pour faire le bien des autres contre leur gré, afin de ne pas reproduire les erreurs du passé, y compris l’égalitarisme d’Etat d’un certain communisme niant l’individu dans ses droits. Il faut que chacun puisse accéder à ce qu’il peut prétendre comme part de création, mais cela ne peut se faire sans le ciment de la fraternité, du souci de l’autre comme de soi, comme valeur intrinsèque du monde, car rien ne peut advenir de bon de ce qui est promis d’obtenir contre les autres, à leur détriment. Pour la laïcité, la fin est consubstantielle des moyens, entre libertés collectives et individuelles qui engagent la responsabilité de tous. Il n’y a pas d’humanité viable en dehors de ce paradigme.

La laïcité est un choix délibéré de sens de l’histoire, rien de moins, et il faut être à la hauteur de ce défi. Il y a de ce point de vue des enjeux historiques à préciser, une aventure politique où les choses sont ouvertes. C’est le grand combat à venir de ce siècle qui sera laïque ou qui ne sera pas.

Guylain Chevrier –
Docteur en histoire