
En 1792, l’Inquisition espagnole pourchasse toujours les hérétiques, preuve que les siècles de persécution passés ont été infructueux. Quelques gravures préoccupent l’Eglise plus particulièrement : c’est la stupéfiante série des Caprichos de Francisco Goya. La nature humaine y apparaît dans ce qu’elle a de plus hideux et les religieux ne sont pas les derniers à être croqués avec acidité : orgueil, agressivité, cupidité, hypocrisie, violence et superstition éclaboussent chaque dessin. L’inquisiteur confie alors au Frère Lorenzo le soin de renouer avec les méthodes du passé : l’application plus fréquente de la question pour déterrer le démon, le juif, l’hérétique.
Terrible observateur des perversions humaines, fin dénonciateur de l’oppression religieuse, Goya ne dédaigne pas, cependant, de peindre les puissants. Le roi et la reine d’Espagne seront portés sur la toile, et la reine y apparaîtra dans toute sa laideur. Tout mérite la perspicacité du pinceau de Goya : la beauté comme la laideur, la mort comme l’enfance, la sauvagerie de la guerre comme la paix d’une fête populaire.
Mais la beauté ingénue d’une de ses jeunes modèles attire la suspicion du Frère Lorenzo et la jeune fille est mise au cachot. Soumise à la torture, elle avouera ce que le prêtre lui ordonne, en l’occurrence être secrètement juive. Et c’est dans l’insupportable validité accordée à un aveu prononcé sous la torture que Milos Forman réalise un coup de maître : il confronte le religieux à la thèse catholique affirmant que si un accusé n’est pas coupable, alors Dieu lui donnera la force d’endurer la « question ». Eh bien soit. Le père de la jeune fille retourne alors l’expérience : le curé est soumis à une brève séance de torture et, finalement, consent à signer une lettre où il avoue être le fils d’un chimpanzé et d’un orang-outang ! La démonstration est faite.
Les fantômes de Goya n’est toutefois pas organisé de façon centrale autour de la personne du peintre, qui agit ici plutôt comme un observateur de la folie de son temps. Et la folie n’est pas que catholique : c’est dans le sang et la destruction que s’opère l’invasion de l’Espagne par l’armée française, bien que motivée par la libération de l’assujettissement à l’ordre ancien (monarchique et catholique). Au nom de la liberté, de l’égalité et de la fraternité, on tue et on massacre, bref, on « libère » un peuple soumis. L’écho est évidemment immédiat avec l’époque actuelle.
Bien qu’illustré par de très nombreuses oeuvres de Goya, le film n’est pas pour autant un musée. Le peintre est le média, le transmetteur, qui donne à voir la réalité de son temps. Impuissant à changer le cours des choses, le peintre agit toutefois en témoignant. Deux siècles plus tard, son oeuvre continue de fasciner et, surtout, d’effrayer et Milos Forman réussit le défi de cette transmission.
Jocelyn Bézecourt
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