Réponse de Riposte Laïque à Caroline Fourest

Caroline Fourest, quelques heures après la sortie du numéro 7 de Riposte Laïque, faisait paraître, d’abord sur son blog, puis sur le site de Prochoix, le texte ci-dessous. Nous avions proposé à Caroline Fourest de lui ouvrir nos colonnes, et qu’elle nous ouvre les siennes, pour que chacun puisse apprécier les arguments de l’autre, et juger en son âme et conscience. Cela n’a pas été son choix, et nous le respectons. Nous allons donc répondre aux sept points sur lesquels Caroline Fourest nous interpelle, dans le but d’approfondir un débat que plus personne ne peut refuser.

Caroline Fourest : Bonjour Pierre,

Riposte Laïque : Bonjour Caroline, nous te précisons que notre journal ne tourne pas autour d’une seule personne, mais d’une équipe rédactionnelle de quinze membres, enrichie de correspondants qui nous informent de ce qui se passe, au niveau laïcité, en France, en Europe et dans le monde.

Caroline Fourest : Je vois que le ton cordial a été rompu… Attention tout de même à ne pas déformer ce que je dis si tu veux vraiment qu’on débatte.

Riposte Laïque : Nous sommes surpris de cette appréciation, de nombreux lecteurs, au contraire, se sont félicités du ton courtois et pédagogique du dernier édito de Cyrano. Nous ne pensons pas que l’article de Pascal Hilout manquait de cordialité, lui non plus.

1) À t’entendre, je « condamne sans appel la démarche » de Fanny Truchelut. Faux. Contrairement à toi qui soutiens Fanny Truchelut « sans réserve » (tu l’as écrit), je comprends sa démarche du point de vue instinctif, je la désapprouve du point de vue du droit… C’est sans doute ce que tu interpréteras comme une démarche d’intellectuel « planqué » à Paris, pendant que le peuple résiste… Je n’insiste pas sur les racines historique de l’anti-intellectualisme, ni sur où il a déjà conduit dans le passé. Je ne parle même pas du côté « France réelle contre France légale » — dont pourrait te parler mieux que moi le Mouvement pour la France. Je me permets juste de te rappeler que le droit nous tenant à l’abri de nos instincts, c’est la base de la démocratie.

Riposte Laïque : L’argument du droit, rappelé par Caroline Fourest, est étonnant quand il est utilisé par des militants se réclamant de la transformation sociale. Heureusement que les féministes, pour arracher le droit à l’avortement, dans les années 70, ont su le dépasser. Heureusement qu’au 19e siècle, les ouvriers, pour obtenir le droit de grève, ont su, par leur rapport de forces, faire évoluer une loi qui leur était défavorable. A notre connaissance, mais peut-être nous trompons-nous, Caroline Fourest n’a pas condamné l’initiative de Noël Mamère, quand il a bravé la loi pour célébrer le mariage de deux hommes. Pourquoi deux poids deux mesures ? Pour nous, la seule question qui compte est le côté progressiste de la demande d’évolution d’une loi. Quand les intégristes catholiques se battent contre l’application de la loi Veil, nous sommes mobilisés pour défendre cette loi. Quand, par contre, il faudra se battre pour imposer de nouvelles lois, par exemple pour protéger les femmes et les mineures contre la pression des islamistes, nous serons aux côtés de celles et ceux qui se mobiliseront. Par ailleurs, nous n’avons jamais qualifié personne d’intellectuel « planqué » à Paris, Nous contestons par contre certains arguments intellectualistes coupés de la réalité quotidienne et des conséquences catastrophiques qu’ils peuvent avoir pour la défense de ce qui doit nous unir : l’émancipation de l’individu.

2) A t’écouter toujours, je vous « reproche une conception de la laïcité contraire au respect des libertés individuelles, et tournée contre les religions ». Où as-tu vu que je vous reproche une laïcité tournée vers les religions ? Je dissocie le combat laïque du combat athée mais je soutiens ceux qui se revendiquent de l’athéisme pour se battre contre la religion en tant qu’idéologie. Simplement, je refuse que cela serve de prétexte à insulter les musulmans laïques sous prétexte qu’ils ne sont pas athées… Et encore plus que cette position théorique aboutisse à la discrimination d’individus religieux en tant qu’individus… Sans doute est-ce encore une nuance d’intellectuelle planquée à Paris.

Riposte Laïque : Nous n’avons lu nulle part dans Riposte Laïque une insulte contre les musulmans laïques qui ne seraient pas athées. Nous n’avons jamais appelé à discriminer des personnes en fonction de leur religion. Nous développons l’idée, justement, que le voile n’est pas un symbole religieux, mais le symbole de l’oppression des femmes, et qu’il est contraire à la notion d’égalité hommes-femmes. Nous comprenons donc assez mal ce passage.

3) Je ne suis jamais revenue sur mes positions concernant l’accompagnement scolaire. Je suis toujours en réflexion mais je n’ai pas changé d’avis au point de revenir sur mon texte. Sinon je l’aurais écrit. Je sais que cela fait partie de la culture internet mais les conversations privées, comme celles que j’ai eu avec Jean-François Chalot, où je lui ai fait part de mes doutes (j’en ai toujours avant de prendre position et même après) n’ont absolument pas la même valeur que les écrits réfléchis et je ne t’autorise donc pas à les instrumentaliser.

Riposte Laïque : Ce passage du dernier édito de Cyrano était plein de sincérité, notre ami étant convaincu que Caroline Fourest avait favorablement évolué sur cette question. Nous n’en tombons que de plus haut. Cela signifie donc qu’encore aujourd’hui, malgré toutes les explications apportées par notre amie Michèle Vianès, pour répondre à l’offensive des islamistes sur l’école, que relaie complaisamment la Halde, Caroline n’a pas encore pris position. C’est certes son droit le plus strict, mais, dans ce cas, l’incompréhension avec l’ensemble du mouvement laïque et féministe, uni sur cette question, est de plus en plus évidente. On espère néanmoins que la militante verte Laurence Bonzani, et Josiane Tatin, qui sont poursuivies par des militantes islamistes pour avoir refusé des mères accompagnatrices voilées dans leur école, auront droit, dans Prochoix, à davantage de solidarité que n’en a eu Fanny Truchelut.

4) « Les tergiversations de certains de nos amis sont le résultat du travail de sape des prédicateurs islamistes » : si cette phrase me vise (elle est écrite dans un texte qui s’adresse à moi), je la trouve particulièrement limite étant donné mes travaux.

Riposte Laïque : Le titre de l’édito était « lettre ouverte à Caroline Fourest et à tous ceux qui nous reprochent de défendre Fanny ».

5) Autre mise au point, Pierre, j’ai toujours beaucoup apprécié ta détermination. Contrairement à ce que tu tentes aujourd’hui d’insinuer, je ne crois pas en manquer. Mais tu auras le dessus en rage sur ce débat puisque contrairement à celui que je continue de mener contre Ramadan et la « Tentation obscurantiste », je ne te considère pas comme un adversaire mais bien comme quelqu’un avec qui nous avons une divergence d’interprétation due au contexte et au vécu de chacun. Ce qui arrive tous les jours. Je crois simplement utile que nous puissions rendre lisibles nos nuances, pour la complexité du débat. Je comprends que tu sois touché par ce qui arrive à Fanny Truchelut. Je le suis aussi. Mais si Fanny Truchelut n’avait pas été condamné dans cette affaire (j’aurais préféré qu’elle le soit symboliquement), c’est le camp adverse, celui de la « Tentation obscurantiste », qui pourrait légitimement crier à l’injustice.

Riposte Laïque : Si Caroline Fourest avait souhaité que Fanny soit condamnée symboliquement (ce qui, là encore, est son droit le plus strict), elle n’aurait pas dû titrer : « un jugement sévère qu’il faut accepter », quand Fanny a été condamnée à de la prison avec sursis, et à 8.500 euros d’amende. Cet article, publié par Prochoix et repris par Respublica, a indigné nombre de nos lecteurs, et nombre de militantes féministes désemparés par une telle réaction, dépourvue de toute humanité, envers Fanny. Par ailleurs, nous partageons totalement le souhait de la rédactrice en chef de Prochoix, ne la considérons pas comme une adversaire (ce n’est pas nous qui avons parlé de « combat »). Nous sommes simplement consternés par ses dernières prises de position, qui ne lui vaudront aucune sympathie nouvelle chez les communautaristes et les islamistes, mais qui risquent de la couper de nombre de militants laïques et féministes.

Le soutien financier du MPF ne peut pas être balayé d’un revers de main comme n’ayant aucune importance… C’est exactement ce que je reproche au MRAP et à la LDH. C’est une chose de militer contre la loi sur les signes religieux comme les islamistes (là nous sommes dans le même cas que la campagne contre le traité où des groupes d’extrême droite et d’extrême gauche déployaient parfois les mêmes arguments). C’en est une autre de le faire aux côtés de Ramadan et des islamistes… Dès lors, la signification de sa mobilisation change. Si vous aviez soutenu Fanny Truchelut tout en soulignant la mauvaise foi de ce soutien intégriste, passe encore. Mais non, vous allez jusqu’à les défendre quand ProChoix les critique… Dans ce cas, vous passez d’une simple convergence conjoncturelle à une forme de connivence, qui change la dimension de votre mobilisation.

Oups… Encore une vue d’intello parisien planqué… Vive la fin des nuances et de la réflexion non émotionnelle qu’on puisse commencer la « vraie résistance » ! Celle du « camp contre camp ». Celle de la guerre, franche et virile !

Riposte Laïque : Effectivement, le soutien financier du MPF ne peut pas être balayé d’un revers de main. S’il n’avait pas existé, que serait devenue Fanny ? Comment aurait-elle pu se défendre ? Il ne faut pas oublier que, dans l’affaire, la victime, c’est elle ! Elle demande courtoisement à une femme de respecter les valeurs féministes dans les parties communes de son gîte (à aucun moment elle ne l’a refusée), et elle se retrouve au tribunal ! Or, comme de nombreux Français, elle ne peut prétendre à l’aide juridictionnelle gratuite mais n’a pas pour autant les moyens de payer un avocat (sans parler de la condamnation). Il est déjà difficile, pour une femme honnête, qui a toujours respecté la loi, de se trouver mise en cause, et voir la banqueroute financière à l’horizon doit créer un stress terrible. Une seule main s’est tendue, c’est celle de De Villiers. Tant pis. Mais tant mieux pour Fanny. Quant à Riposte laïque, au nom de quoi aurions-nous dû hurler avec les loups et marchander notre soutien ? La cause devait être défendue, sans considérations extérieures qui auraient conduit à de la tiédeur ou à des compromis indignes. De plus, à partir du moment où la plaidoirie de Varaut et Varaut lui-même sont restés soigneusement à l’écart du politique et des thèses de De Villiers, on ne voit pas pourquoi on lui aurait fait un procès d’intention, voire un procès en diabolisation. Rappelons que l’accusé, dans ce procès, c’est Fanny, pas Varaut.

7) J’ai lu le texte qu’à écrit Fanny Truchelut à mon attention. Si elle n’a pas dit « je ne veux pas de ces gens-là » et que cette phrase a été reprise à tort par les médias, alors je lui présente mes excuses. Mais pourquoi Riposte laïque, au lieu de vanter les mérites de maître Varaut, n’a pas utilisé son espace internet pour faire cette mise au point… d’importance ! Trop intello ? Il y a par contre des choses que je lis dans ce texte, écrit donc par Fanny Truchelut, qui m’interpellent. Elle ne parle pas de « droits des femmes » pour justifier sa réaction au voile mais de respect des « traditions » : « nous sommes attachés à nos valeurs et nos traditions ». J’y vois là un argument malheureusement plus villiériste que laïque… Que le prétexte grossier d’ « analphabétisme » — mis en avant pour insister encore sur la fibre anti-intellectualiste — ne saurait masqué. A moins de considérer que les gens du peuple ont le droit d’être plus réac’ que ceux qui habitent Paris. Comme d’autres justifient que les mecs violent des filles parce qu’ils habitent dans des quartiers populaires…

Une dernière chose sur le ton. Fanny Truchelut, qui est sans doute blessée, me désigne comme une « louve sortie du bois » (toujours cette histoire de planque typiquement parisienne…) Elle l’ignore sans doute mais je me permets de lui dire que c’est exactement l’expression utilisée par un admirateur de Tariq Ramadan, lorsqu’il a cru bon de donner l’adresse parisienne de ma planque, avec mon code de porte, suivi de ce message « il faut que la louve reste dans sa tanière ». Pas si confortable comme planque…

Caroline Fourest

Riposte Laïque : Nous avons fait un compte-rendu des faits que nous connaissions. Aurions-nous dû, au lieu d’écouter Fanny, partir à la chasse aux articles parus pour y chercher les erreurs ? Cela ne nous est pas venu à l’esprit. Nous sommes, doit-on le rappeler, de simples salariés, qui écrivons bénévolement pour défendre nos idées. Nous n’avons ni le temps, ni l’argent, ni l’envie de nous transformer en journalistes d’investigation. Quant au mot « tradition » utilisé par Fanny, en quoi serait-il choquant ? Pourquoi faudrait il chercher une interprétation « politicienne » ? Ce mot ne nous choque pas, la France est bien un pays de « tradition laïque et féministe », tradition due à notre histoire, à l’héritage des lumières, aux souvenirs de 1905, à Simone de Beauvoir …Enfin, si Fanny s’est sentie agressée (comment ne pas le comprendre, quand on connaît sa situation et sa sincérité ?), rien d’étonnant à ce qu’elle évoque des comparaisons « instinctives », qui renvoient à la mythique peur du loup. Est-ce sa faute si les adeptes de Ramadan, dont on connaît les positions anti-féministes, ont utilisé le même mot, qui a, forcément, un autre sens dans leur bouche ? Qui n’a jamais utilisé, dans son vocabulaire, un mot utilisé par Le Pen ?