
Le débat sur le voile, sur France O, fin novembre, a beaucoup tourné autour de l’affaire du Gîte des Vosges. Il a permis de poursuivre un débat qui, à cette occasion, a vu se confirmer des divergences à l’intérieur du camp laïque et féministe. Face à Michèle Vianès, Caroline Fourest a utilisé un argument étonnant pour exprimer à nouveau son désaccord avec l’attitude de la propriétaire du Gîte des Vosges, qui a demandé à deux femmes de retirer leur voile dans les parties communes du gîte.
Après avoir qualifié la réaction de Fanny Truchelut d’exemple flagrant de discrimination, elle fera un premier parallèle surprenant, disant que si on accepte cette attitude, on acceptera demain celle d’un hôtelier qui refusera un couple homosexuel. Quel rapport ? Mais c’est son deuxième argument qui mérite approfondissement. Voici la retranscription de ses propos.
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« Juste un exemple, je vais prendre aussi une autre métaphore. Moi je me suis posé la question, pour me mettre à la place de Fanny Truchelut dans sa réaction. Je me suis dit : bon sang, si j’avais un gîte, effectivement, c’est un peu compliqué par rapport à un hôtel.
C’est chez soi, même si, peu importe, juridiquement, c’est un lieu d’habitation commerciale. Je vois arriver un congrès du Front National et je vois arriver deux personnes militantes d’une section F.N. avec la petite flamme qui me demandent une chambre, que je vais avoir dans mon salon le soir, etc. Bon sang, je ne vais pas passer le week-end franchement très bien et je vais pas me sentir très très bien. Hé bien, néanmoins, je vais jusque là, c’est ça la République et la démocratie. C’est que les lieux qui sont balisés comme des lieux commerciaux, et la rue en fait partie plus les lieux commerciaux, ces deux lieux-là sont des espaces où on est obligé de se croiser, même si on en a pas envie, même si on en a pas envie. »
Apparemment pleine de bon sens, cette phrase enfonce davantage encore Fanny Truchelut. Quel est le non-dit de cette tirade ? Si une militante antifasciste comme moi pourrait aller jusqu’au sacrifice d’accepter des militants du FN en tenue, au nom de la démocratie et de la République, pourquoi Fanny Truchelut a-t-elle été incapable d’accepter Horia Demiati et son voile ? Pourtant, cette comparaison est fort discutable.
D’abord, si on peut imaginer Caroline tenancière d’un gîte de montagne, coupé du monde, comme celui de Fanny, au milieu des chèvres, des chiens, des chats, des poules et des sapins, il est plus difficile d’imaginer des congressistes du Front national, avec leur flamme sur le maillot, venir s’y reposer à la suite d’un congrès. Mais là n’est pas l’essentiel.
Un gîte d’étape n’est pas la rue. C’est un endroit fermé, c’est un lieu de repos, de détente et d’harmonie entre ceux qui le fréquentent. Je considère que la tenancière Caroline Fourest commettrait un délit si elle refusait les deux personnes, simplement parce qu’elle connaît leur appartenance au Front national, alors qu’elles sont habillées comme tout le monde. Mais la démocratie et la République, ce n’est pas être contraint de subir, dans des lieux publics, l’agression de l’autre. Faut-il rappeler que Fanny n’a pas refusé Horia Demiati parce qu’elle est musulmane, elle lui a demandé de retirer son voile dans les parties communes, et c’est la militante du port du voile qui a refusé.
Faut-il que la pression victimaire des islamistes et de leurs complices soit forte pour qu’une personne expérimentée comme Caroline Fourest tombe dans ce piège, en présentant Horia Demiati comme une victime, comme hier le docteur Abdallah Milcent ou l’Indigène de la République Pierre Tevanian disaient que les jeunes filles qui refusaient de retirer leur voile à l’école étaient des victimes de l’exclusion, alors qu’elles agressaient la laïcité.
C’est pourquoi, quelle que soit la loi aujourd’hui, il fallait soutenir Fanny Truchelut, la seule vraie victime de cette affaire, face à Horia Demiati, au Mrap, à la LDH et aux islamistes. Tout comme il faudrait soutenir la tenancière de gîte Caroline si, dans un cas comme celui qu’elle évoque, elle demandait à ces deux militants du FN de retirer leur maillot avec leur flamme dans les parties communes du gîte, parce que cela est de nature à troubler l’harmonie des hôtes, à provoquer des incidents, et que c’est son droit et son devoir de l’éviter. J’aurais le même discours pour une personne qui porterait des mots d’ordre provocateurs sur leurs tenues, comme « Avorter c’est tuer », « Je nique la France », « Les pédés sont des malades mentaux », ou « Religions piège à cons ».
Allons plus loin, ne pas le faire, c’est prendre le risque de faire fuir les clients « classiques », dérangés par des tenues qui insultent leurs convictions, ou simplement leur quiétude. C’est donc perdre un type de population, et transformer, à terme, le gîte de Caroline en un repaire communautariste de fachos, d’intégristes cathos, de loubards, d’homophobes ou d’antireligieux primaires. Si Fanny avait accepté la tenue d’Horia Demiati, elle aurait perdu des clients, et son gîte serait devenu un lieu de rencontres de toutes les voilées en mal d’oxygène vosgien.
On est donc bien loin du « vivre ensemble », de la démocratie et de la République, qui nécessitent des tenues qui n’agressent pas d’autres clients, ce qu’Horia Demiati a voulu imposer.
Il serait donc tout aussi légitime de refuser une femme voilée qu’un militant d’extrême droite affichant ses opinions dans un gîte d’étape.
Enfin, dernière attaque contre Fanny Truchelut, le rappel qu’elle a osé accepter d’être défendue par Alexandre Varaut, par ailleurs membre du Mouvement pour la France. Rappelons que c’est la seule proposition qu’elle ait eu, tout le monde s’est caché, et l’a laissé seule. Ensuite, nous sommes républicains, donc nous sommes capables de lutter sans concession contre l’homme politique Varaut, et d’applaudir la plaidoirie brillante de l’avocat Varaut, quand elle est au service d’une bonne cause. Nous l’avons publiée, pour que chacun puisse juger. Nous n’avons rien lu contre son contenu. Cette plaidoirie du « droitier » Varaut avait une autre humanité que les insultes lamentables proférées contre Fanny, Anne Zelensky et Annie Sugier par les avocats de « gôche » du Mrap ou de la LDH. A quoi serviraient les tribunaux, si les justiciables sont condamnés, avant le procès, en fonction des opinions de leur avocat?
Mais par ailleurs, je partage l’argument de Caroline Fourest, iconoclaste pour une collaboratrice de Charlie Hebdo dont le rédacteur en chef a voulu faire interdire le FN il y a quelques années, de refuser de discriminer quelqu’un en raison de son opinion politique, même s’il s’agit d’un parti d’extrême droite. Bien sûr, il ne s’agit pas de rester passif face aux idées du Front national, qu’il est un devoir de combattre. Mais fallait-il, par exemple, approuver l’attitude de ceux qui dénonçaient un maire quand celui-ci accordait une salle au Front national, le faisant passer pour un complice de Le Pen ? Si on est pour la démocratie et la République, comme l’explique Caroline Fourest, si on est cohérent, on doit donner les moyens à un parti légalisé de défendre ses idées, même si elles nous dérangent.
Remarquons, d’autre part, dans cette émission, que Caroline Fourest continue à trouver la sanction juste (rappelons que Fanny Truchelut est condamnée à quatre mois de prison avec sursis, et une amende de 8.500 euros), faisant même remarquer que dans d’autres cas de discrimination, les sanctions sont bien plus lourdes (Fanny devrait-elle dire merci aux juges d’Epinal pour leur mansuétude ?). Il n’aura échappé à personne, d’autre part, qu’elle est la seule des quatre intervenantes de ce débat à ne pas avoir approuvé l’interdiction de la burka dans la rue.
L’approfondissement de ce débat est donc plus que jamais indispensable pour le monde laïque et féministe. Nous n’hésitons pas à publier, depuis le début, des points de vue qui ne rejoignent pas le nôtre, et le faisons encore à l’occasion de ce numéro, dans nos rubriques « Débats laïques », ou bien « Esprits Libres ».
Ainsi, les défenseurs de Fanny, dont Riposte Laïque, demanderont, lors de l’appel du procès de Fanny, son acquittement. Que feront nos amis qui, telle Caroline Fourest, disent qu’il faut accepter le premier verdict ?
Michèle Vianès, Anne Zelensky, Annie Sugier et Pierre Cassen ont impulsé une pétition demandant l’interdiction du voile pour les mineures, son interdiction à l’université, que je considère comme un service public de l’Education nationale devant répondre aux mêmes obligations que les collèges et lycées, et l’interdiction du voile intégral (niqab ou burka) dans la rue.
Si Nicolas Sarkozy, qui a affirmé son opposition à la burka en France, décide de faire légiférer contre cette tenue, suite à la pétition soutenue par Regards de Femmes et Riposte Laïque, nos amis diront-ils que c’est une mesure contre la démocratie et la République, et reprocheront-ils au président de la République de l’avoir prise ?
Dans les rues de Marseille, cette semaine, j’ai été confronté à une scène qu’on verra de plus en plus souvent, si on ne légifère pas. Une femme, toute de noire vêtue, portait le niqab, c’est-à-dire qu’on ne voyait d’elle qu’une fente d’un centimètre, à hauteur de ses deux yeux. En compagnie de son mari et de son fils, elle a longuement cherché un lieu convenable, ou elle puisse se restaurer. Elle a fini par rentrer dans un restaurant à service rapide (serveuse voilée), et a demandé à être placée au fond de la salle, dos à tout le monde.
J’ai observé la scène. Face à son mari et à son fils, elle levait très rapidement son voile intégral, et le rebaissait aussi vite, après avoir englouti une bouchée, sans être vue de personne d’autre.
Caroline Fourest, lors de ce débat, a défendu mordicus l’idée qu’il ne faut surtout pas aller plus loin que la loi du 15 mars 2004, sinon cela serait, paraît-il, remettre en cause tout ce qui a été fait. Si un restaurateur, ou un propriétaire de gîte, refuse d’accueillir un couple pareil, leur dira-t-on que leur attitude menace dangereusement la démocratie, et la République, et qu’on rentre dans la discrimination ? Attend-on qu’il y ait de nouveaux cas similaires à celui de Fanny Truchelut pour enfin légiférer, et protéger les restaurateurs et les tenanciers de gîte des futures provocations qui les attendent ?
Est-ce être un ultra-laïciste, comme nous a aimablement qualifiés la philosophe Catherine Kintzler, que de dire que si la défense de la laïcité et de la sphère privée, c’est le voile et des tenues de militants FN dans un gîte, et le niqab dans un restaurant, il doit y avoir de sérieux problèmes entre les théories philosophiques de quelques intellectuels et la réalité de la vie quotidienne des citoyens.
Emission complète :
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