Lettre de Fanny Truchelut à Monsieur Sarkozy

Monsieur le Président,

Je suis en procès pour avoir demandé le 11 août 2006, à deux femmes Horia Demiati et sa mère Rachida Nhari, d’ôter leur voile dans les parties communes de mon hébergement de vacances, composé de deux gîtes.

Mère de 4 enfants, âgée de 54 ans, j’ai été condamnée, lors d’un premier procès à Epinal, à 4 mois de prison avec sursis et 8.500 ‚ d’amende pour discrimination religieuse. Les accusations de discrimination raciale et ethnique, demandées par Horia Demiati, n’ont pas été prises en compte par le tribunal. J’ai fait appel de cette condamnation.

Monsieur le Président, en tant que femme, mise « à l’usine » par mon père à 14 ans, je suis attachée à l’égalité des droits, et je n’oublie pas, tout au long de ce siècle, les combats menés par nos aînées, aussi, je me souviens :
– pour qu’une femme puisse porter un pantalon, il a fallu une loi en 1909, avant c’était un délit.
– pour qu’une femme puisse adhérer à un syndicat sans l’autorisation de son mari, il a fallu une loi en 1920.
– pour la suppression de l’incapacité juridique de la femme ainsi que son devoir d’obéissance à son époux, il a fallu une loi en 1938.
– pour que les femmes puissent voter, il a fallu une loi en 1945 après que la Chambres des Députés se prononcent pour la sixième fois.
– pour qu’une femme puisse ouvrir un compte en banque sans l’autorisation de son mari et choisir une profession, il a fallu une loi en 1965.
– pour qu’une femme puisse accéder à la contraception, il a fallu une loi en 1967. –º la création d’un Secrétariat d’Etat à la condition féminine date de 1974.
– pour qu’une femme puisse avorter, il a fallu une loi en 1975. Mais avant d’en arriver là , en 1923, l’avortement était un délit passible de la cour d’assises, il devient en 1942, un crime contre la sûreté de l’Etat puni de la peine de mort.
– pour supprimer la possibilité aux époux de contrôler les correspondances de leurs femmes, il a fallu une loi en 1975. –º pour que les époux deviennent véritablement égaux au regard de la loi, il a fallu une loi en 1985.
– qu’il a fallu en 1992 une loi qui réprime les violences conjugales. Le premier centre pour femmes battues existe depuis 1978, il a donc fallu attendre 14 ans pour légiférer sur ce sujet.
– pour obtenir la parité, il a fallu une loi en 2000.
– une loi votée en 1945 supprime la notion de salaire féminin. A travail égal, salaire égal, plusieurs lois rappellent ce principe, en 1972, 1983, 2001, 2005. Cette loi est-elle appliquée aujourd’hui ?
– pour lutter contre les mariages forcés, il a fallu une loi en 2006 pour porter l’âge du mariage à 18 ans au lieu de 15.
Horia Demiati est une militante active pour le port du voile dans les lieux de travail et dans tous les espaces publics de notre pays. En demandant à ces deux femmes de retirer leurs voiles, je souhaitais préserver l’harmonie de ma maison, une autre famille occupait l’autre gîte. Les deux femmes ont refusé tout compromis, et à leur demande, je leur ai remboursé leurs arrhes, elles sont parties. Elles ont immédiatement déposé plainte contre moi à la gendarmerie, j’ai été à la suite de cette plainte, victime d’une campagne de dénigrement dans la presse locale ainsi que par Internet. Nous avons dû demander une protection policière.

D’autres personnes, dont une institutrice est poursuivie pour avoir refusé l’accompagnement de femmes voilées aux sorties scolaires, un moniteur d’auto école poursuivi également pour avoir refusé une leçon à une femme voilée et d’autres encore. Qu’y a-t-il de commun dans nos histoires ?

Des femmes voilées, qui portent plainte contre d’autres femmes et hommes qui seraient « coupables » d’avoir osé s’opposer à un acte de militantisme. Dans cette affaire, j’ai tout perdu, au delà de l’activité gîte, c’était aussi un projet de vie qui a été anéanti en quelques secondes.

Monsieur le Président, je vous serais reconnaissante de bien vouloir m’accorder un rendez-vous. Je vous le demande car je suis, à travers mon procès, la messagère d’un grand nombre de femmes et d’hommes de ce pays. Je vous le demande au nom de l’égalité des sexes et de nos libertés durement gagnées par nos mères, nos pères, nos grands-mères et nos grands-pères.

Je vous souhaite une bonne année Monsieur le Président, et vous adresse mes sentiments respectueux.

Fanny Truchelut