Pour la liberté de diffuser « Fitna »

« Fitna », c’est le film par qui le scandale risque d’arriver ; c’est le film que prépare Geert Wilders, député et chef de la droite populiste aux Pays-Bas, le « Parti de la liberté », qui a neuf députés au Parlement. Ce film, qui devrait – qui doit ! – être diffusé incessamment sous peu sur Internet(1), faute d’avoir obtenu un créneau sur les chaînes de télé hollandaises, a pour objectif, de l’aveu même de son auteur, de dénoncer les « éléments misérables » du Coran, voire, selon certains journalistes, de montrer qu’il s’agit d’un « livre fasciste » et que Mahomet était un « barbare ».
Branle-bas de combat en Hollande, à Bruxelles et dans les pays musulmans(2).

Wilders affirme que le gouvernement hollandais fait pression sur lui pour qu’il renonce à son projet ; des militants d’extrême-gauche manifestent contre lui ; l’ambassadeur des Pays-Bas a été convoqué par le ministère des affaires étrangères pakistanais pour recevoir ses protestations ; Islamabad a également saisi l’Union Européenne, le Vatican et la Haye du problème ; le syndicat patronal VNO-NCW craint un boycott des produits néerlandais qui aurait des conséquences économiques non négligeables ; dans de nombreux pays musulmans, des voix s’élèvent pour juger le film blasphématoire et injurieux à l’égard de l’islam, on peut craindre des émeutes comme celles qui avaient suivi la parution des caricatures de Mahomet ; enfin, Geert Wilders vit depuis trois ans caché, sous protection policière, changeant de cache chaque nuit pour ne pas subir le sort de Theo Van Gogh, assassiné pour avoir dénoncé dans son film « Submission » le sort fait aux femmes dans la religion musulmane.

On pourrait gloser sur les procès d’intention, les émeutes prêtes avant même que quiconque ait vu le film, ce qui en dit long sur l’objectivité et le sérieux des attaques dont Geert Wilders fait l’objet et rappeler les émeutes qui ont tué, les procès et les boycotts de l’affaire des caricatures. Tel n’est pas notre propos.

La question que nous voudrions aborder aujourd’hui est celle du positionnement de « Riposte Laïque » par rapport à la liberté d’expression. Peut-on défendre la liberté d’expression d’un élu que la presse qualifie d’extrême-droite comme Geert Wilders ? Doit-on et peut-on tout dire ? Quelles sont nos limites ? Que dire et faire face aux terroristes, aux propositions de loi liberticides, aux menaces économiques, aux menaces d’émeute et/ou d’assassinat ?

Nous avons déjà dit ici que, fidèles à l’esprit de Cyrano de Bergerac, nous défendrions la liberté d’expression, la liberté tout court, sauf si les discours ou les actes étaient racistes ou niaient l’Holocauste. En effet, racisme et négationnisme, dans notre loi, sont des délits. Pour les républicains que nous sommes, ils sont contradictoires avec le préambule de notre constitution et incompatibles avec notre humanité et notre humanisme. Nous ne défendrions donc pas un Geert Wilders qui tiendrait des propos racistes.

Or, de quoi s’agit-il ? D’après ce que nous pouvons savoir, le député et cinéaste hollandais critique une religion, en dénonce les excès. Cela n’a rien à voir avec du racisme. Zola, le défenseur du juif Dreyfus, était-il coupable de racisme parce qu’il critiquait les collusions du pouvoir papal avec la bourgeoisie détentrice du capital dans sa trilogie « Lourdes, Rome, Paris ?  » ; Umberto Eco est-il raciste parce que dans « Au nom de la rose » il dénonce des religieux arrogants et sinistres qui refusent à l’homme le droit de rire ? Molière était-il raciste parce qu’il décrivait l’hypocrisie des faux dévots et des lecteurs des livres saints au sens littéral ?

Evidemment non et je soupçonne le lecteur de me rire au nez … C’est qu’en effet, Geert Wilders n’est sans doute pas Molière, et, surtout, que tout ce qui concerne la religion chrétienne concerne le plus souvent l’homme blanc, qui a, historiquement, fort peu subi le racisme. Tandis que l’islam touche en priorité des gens basanés ou noirs… Le raccourci était facile, la figure de style évidente. Puisque l’islam est la religion de ceux qui, depuis des centaines d’années, subissent mise à l’écart, persécution ou mépris à cause du racisme, critiquer leur religion reviendrait à être raciste. Comme si, en plus de devoir supporter le racisme, ils devaient subir une mise à part, qui ne leur permettrait pas d’avoir à rendre compte de leurs actes, de leurs choix. Or, faut-il rappeler que la religion, d’un homme ou d’un peuple, est un choix ; que la lecture littérale d’un texte fondateur est un choix ; que la décision de considérer la moitié de l’humanité comme impure, de la rabaisser au niveau d’un animal est un choix ; que décréter la mort contre le blasphémateur, le mécréant ou l’apostat est un choix… ?

Alors il est urgent de laisser le dialogue s’instaurer, il est urgent de permettre et favoriser la critique, il est urgent de dénoncer les excès des religions, quelles qu’elles soient, et on ne voit pas pourquoi l’islam aurait un statut à part.

Alors il est urgent de laisser Geert Wilders montrer son film, pour en faire la critique, positive ou négative, pour voir s’il s’agit d’une propagande politique subjective et raciste (et dans ce cas il tomberait sous le coup de la loi ) ou, au contraire, d’une réflexion sur les dangers d’une religion.

A « Riposte  » aussi, où nous dénonçons, depuis plus de six mois, le communautarisme, les limites mises à la liberté d’expression, les lapidations, pendaisons et la discrimination féminine, comment pourrions-nous ne pas soutenir Geert Wilders dans son combat ? Comment pourrions-nous accepter le procès d’intention, les menaces terroristes ou économiques ? Qui ne voit à quel point tout est disproportionné et scandaleux ??? D’un côté un homme seul, aux abois, qui propose un film de dix minutes destiné à montrer ce qu’il estime être les dangers d’une religion, de l’autre des ministres et des ambassadeurs qui s’affolent, envoient ou reçoivent des mises en garde, des milliers d’hommes qui s’apprêtent à crier leur haine et même des entreprises qui risquent la faillite… Ces excès montrent bien, hélas, que les dangers que pointe le député hollandais ne sont pas des chimères et ne doivent rien à un discours raciste primaire ; les dangers d’intégrisme et de fascisme islamique existent bien et il est nécessaire de les dénoncer avant qu’il ne soit trop tard.

Alors il est urgent que tous ceux qui sont attachés à la liberté d’expression se mobilisent pour que ce film puisse être diffusé et vu, car, comme l’a affirmé Geert Wilders dans une interview au « Figaro » :  » je suis un élu et je mène mon combat sous la bannière de la loi. Si je devais renoncer à dire ce que je pense, les adversaires de la démocratie auraient alors gagné »(3). A ce propos, je vous invite à relire l’article de notre collaborateur Roger Heurtebise, dans « Riposte Laïque » n° 31(4)

En effet, comment se voiler la face ? Comment ne pas voir l’enchaînement inéluctable des menaces, des assassinats et des attentats qui menacent les démocraties occidentales et les contraignent, parce qu’elles ont peur, à accepter, peu à peu, de renier leurs valeurs, de renier leur conceptions de la liberté, de renier leur conceptions de la femme, de renier leur âme ? Comment ne pas voir le fascisme islamique rampant s’installer à notre barbe, triomphant grâce au chantage, aux menaces et aux morts ?

Faut-il une longue vue pour relier la fatwa réclamant l’exécution de Rushdie pour blasphème et apostasie en 1989, l’exil de Taslima Nasreen, menacée par les fondamentalistes, en 1994, les menaces qui contraignent Mohamed Sifaoui à vivre sous protection policière depuis 2003, l’assassinat de Theo Van Gogh en 2004 (et, depuis, les menaces de mort contre Ayaan Hirsi Ali), l’affaire des caricatures danoises en 2005, les menaces de mort contre Redeker en 2006, le procès de Charlie-Hebdo en 2007 et, à présent, les menaces contre Geert Wilders ?

Faut-il une longue vue pour relier les attentats islamistes de Paris en 1985-86, d’Egypte en 1997, de Nairobi en 1998, de New-York en 2001, les six attentats contre les Occidentaux au Pakistan en 2002, ceux d’Arabie Saoudite, du Maroc ou d’Indonésie en 2003, d’Egypte, à nouveau, en 2004, de Madrid en 2004, les attentats de Londres, d’Egypte et de Bali en 2005, et ceux d’ Arabie Saoudite, d’Allemagne (manqué), d’Algérie, du Pakistan, etc. en 2007 ? Faut-il une longue vue pour relier ces menaces, ces morts et le nombre croissant de voiles et de burkas dans l’espace public ?

Faut-il une longue vue pour voir que, derrière le cas Geert Wilders, ce sont les démocraties occidentales qui sont en danger, c’est la liberté qui est en danger, c’est le droit de choisir sa religion (ou son athéisme) qui est en danger, c’est le droit des femmes qui est en danger, c’est l’Europe des lumières qu’on assassine ?

Faut-il une longue vue pour voir que les islamistes en demandent toujours plus et que, plus nous céderons à leurs diktats, plus nous nous perdrons nous-mêmes et plus vite nous retournerons la barbarie, au fascisme et à l’oppression ?

Par contre, nous n’hésiterions pas, ensuite et/ou ailleurs, après l’avoir encouragé à profiter de la liberté d’expression, à nous démarquer des propos de Geert Wilders, si, au lieu de critiquer les préceptes religieux et ceux qui les commandent il passait à la généralisation et aux propos racistes. Les choses sont claires, sans ambiguïté aucune. Les thèses de l’extrême-droite, à l’étranger comme en France, sont dangereuses pour les libertés, pour le statut des femmes, pour la laïcité, pour les fondements même de notre République.

Nous ne soutiendrons jamais, à Riposte, le discours de Le Pen qui soutient les négationnistes de la Shoah, (il est, d’ailleurs, fort complaisant avec l’extrême-droite islamiste), ni son soutien aux régimes dictatoriaux ou ségrégationnistes comme ce fut le cas pour le Chili de Pinochet ou l’apartheid d’Afrique du Sud. De la même façon, nous ne serons pas le relais des thèses, de gauche comme de droite, contraires à nos valeurs ; c’est pourquoi nous ne soutiendrons pas, non plus, de Villiers dans sa vision traditionaliste de la famille, hostile aux conquêtes féministes, ni dans sa lecture vendéenne de la Révolution française ; mais nous réclamerions le droit, pour ceux avec qui nous ne sommes pas d’accord, de publier leur œuvre si, à l’instar du député néerlandais, ils décidaient de critiquer, dans le respect de nos lois. Nous ne sommes pas des gauchistes primaires qui pratiqueraient l’anathème par principe et sans discernement.

Enfin, il faudrait être aveugle pour ne pas voir que la seule réponse, face aux intimidations et au fascisme religieux qui menace Rushdie, Redeker, Wilders, Ayaan Hirsi Ali ou notre ami Sifaoui et les équilibres géopolitiques, voire économiques de la planète, c’est que TOUT LE MONDE se batte pour le principe de la liberté d’expression, que TOUT LE MONDE relaie les dessins, livres, ou films critiques. Alors, il deviendra impossible de brûler les drapeaux de trente pays, de lancer des fatwas contre des milliers de gens, de boycotter tous les produits, venant de dizaines de pays… Jamais l’adage « l’union fait la force » n’a été si vrai.

(1) http://fitnathemovie.com/

(2) http://www.lemonde.fr/europe/article/2008/01/14/la-tension-monte-aux-pays-bas-avant-la-diffusion-d-un-film-sur-l-islam-du-populiste-geert-wilders_999149_3214.html#ens_id=984888 et http://www.come4news.com/le-film-de-geert-wilders-fitna-continue-a-faire-reagir-865453.html

(3) http://www.lefigaro.fr/international/2008/03/07/01003-20080307ARTFIG00024-geert-wilders-l-ideologie-islamique-est-fasciste.php

(4) http://www.ripostelaique.com/Il-est-minuit-moins-cinq.html