
Il y a un mois et demi, je participais au pot de départ en retraite d’un camarade avec qui j’ai travaillé plus de vingt ans. Ce fut une fête grandiose, faite de chants, de discours émouvants, et de dégustation de bons vins. La semaine dernière, j’étais à ses obsèques. Maudite soit la mort, mais elle fait partie de la vie, même quand elle survient trop tôt, de manière aussi injuste pour un garçon qui a commencé à travailler à quatorze ans, et qui se faisait une joie de profiter enfin de son temps libre.
Je n’ai aucun problème de principe à entrer dans une église, pour l’enterrement d’un proche. Je suis même si peu sectaire que je suis capable à cette occasion, de parler, si cela s’avère utile et souhaité. Je suis par contre mal à l’aise quand j’entends un curé parler du défunt comme d’un fils de Dieu, alors que je sais que cette personne, bien que baptisée, était athée, et avait tourné le dos à la religion catholique depuis longtemps.
Comment expliquer qu’aujourd’hui, en France, de nombreux athées soient enterrés religieusement ?
Les raisons sont multiples, et on pourrait s’appuyer sur le poids de la tradition. Mais comment occulter ce fait : en 2005, dans notre pays, il y eut 774.600 naissances. 349.075 personnes furent baptisées, dont 325.878 avant l’âge de sept ans. Quarante ans après mai 68, près de la moitié des enfants se voient automatiquement attribuer la religion catholique, sans avoir voix au chapitre (1).
Cela signifie-t-il que l’autre moitié est épargnée ? Cela serait oublier tous ces enfants qu’on inscrit à l’école coranique, ou à qui on inculque d’autre pratiques religieuses, dès leur plus jeune âge.
Cela correspond-il à la réalité de la foi de la population ? Dans un article daté de 2001, le journaliste du Monde Diplomatique Dominique Vidal estimait qu’en France, aujourd’hui, 45 % des citoyens se disaient sans religion, et il remarquait que ce chiffre augmentait chez les plus jeunes (2).
D’autres chiffres sont plus prudents, mais montrent tout de même que le poids de l’athéisme, ou des gens qui doutent, augmente régulièrement en France, alors que moins de 5 % des Américains se disent sans religion (3).
Pourtant, on continue à baptiser des enfants, sans leur demander leur avis, et, conséquence logique, à enterrer beaucoup de ces baptisés de manière religieuse, même quand, au cours de leur vie, ils sont devenus athées.
L’ordre naturel des choses serait-il la foi, et faudrait-il une démarche particulière, volontariste, pour que le fait de ne pas croire soit pris en compte ?
Nicolas Sarkozy disait-il autre chose, devant le repas annuel du Crif, quand il affirmait qu’il souhaitait que tous les enfants aient une approche religieuse, pour éveiller leur spiritualité, et qu’ils choisiraient plus tard (4).
Imagine-t-on ce qu’on dirait si un des derniers pays communistes, par exemple la Chine, décidait, dès la première année de la vie de ses enfants, d’en faire des adhérents du socialisme, en leur faisant entendre avec un MP3 sur les oreilles dix citations inoubliables du grand Mao ? Imagine-t-on des cérémonies avec les portraits de Marx, Engels, Lénine, Staline et Mao, où les jeunes enfants chinois seraient déclarés membres des Jeunesses communistes, et comptabilisés comme tels ?
Imagine-t-on que, faute de démarche volontaire de leur part, ou de leur famille, ils soient enterrés, des dizaines d’années plus tard, au son de l’Internationale, même si entre-temps ils sont devenus d’affreux anarchistes anti-marxistes, voire des vipères lubriques capitalistes ? Tout le monde s’indignerait de ce gigantesque lavage de cerveau des totalitaires communistes.
Si on veut ne plus être comptabilisé parmi les catholiques, il faut entreprendre des démarches. Je sais, je l’ai fait, je suis un apostat, j’ai écrit à mon évêque que j’avais été baptisé à 18 mois, et qu’après réflexion, il y avait vraiment trop de divergences, et donc qu’il fallait qu’il me raye des listes au plus vite. Cela a été fait.
Je sais que cela est plus facile, dans la religion catholique, que chez les musulmans, où l’apostasie est punie de mort ; notre amie Mina Ahadi, en Allemagne, doit vivre aujourd’hui sous haute protection policière, pour avoir revendiqué son athéisme. (5) Est-il toujours facile, dans notre pays, d’échapper à la religion le jour de sa mort ? Nul n’a oublié l’histoire de cet athée d’Afrique du Nord, qui voulait être incinéré à Lille, où il avait passé l’essentiel de sa vie. Le recteur UOIF de la mosquée, Amar Lasfar, s’y est opposé de toutes ses forces, estimant qu’un musulman ne pouvait être incinéré. Amar Lasfar a reçu l’appui, dans sa démarche, de Martine Aubry, dont le mari, l’avocat Jean-Louis Brochen, défend fréquemment les islamistes dans les prétoires. Une amie me racontait dernièrement le sort d’un de ses camarades, qui s’est tué en moto à l’âge de 20 ans. ll était anarchiste, très hostile à la religion, et pourtant, ses parents avaient été inflexibles, il avait été enterré à l’église. Elle m’avait dit combien cela avait été insupportable pour elle et tous ses amis, et qu’ils avaient eu l’impression de le perdre une deuxième fois.
Une autre chose me paraît insupportable, dans la France du XXIe siècle : la difficulté, quand on enterre un proche civilement, d’avoir une salle pour se recueillir, et le peu de crématoriums de proximité disponibles. J’ai encore en mémoire deux choses. Lors des obsèques de mon père (qui, bien que baptisé, nous avait fait savoir que si nous l’enterrions à l’Eglise, il sortirait de la boîte pour nous engueuler), le crématorium le plus proche se situait à 45 minutes en voiture, décourageant, par la distance, de nombreuses personnes âgées d’aller lui dire un dernier adieu.
J’ai également en mémoire les obsèques d’un ami, que tout le monde connaissait dans la commune. C’était un véritable athée. Pourtant, seule l’Eglise était assez grande pour accueillir plusieurs centaines de personnes. C’est le curé qui a officié, ce qui était une insulte à la vie du défunt.
La laïcité, n’est-ce pas le droit de croire, ou de ne pas croire, avec les mêmes droits devant la mort ? La République doit donner les moyens aux athées d’être enterrés comme ils le souhaitent.
Au lieu d’essayer d’acheter des votes communautaristes en finançant des lieux de culte avec l’argent des contribuables, ne serait-il pas temps que de nombreux élus répondent à cette nouvelle situation ?
Surtout, ne serait-il pas temps, à une époque où on parle des droits de l’enfant, que leurs parents prennent conscience que leur progéniture a le droit d’atteindre la majorité sans se voir imposer une religion, qu’elle sera libre de choisir, adulte, si telle est sa volonté ?
Parents, fichez la paix à vos gamins, avec le sel sur la langue, laissez les manger du porc s’ils en ont envie, ne les endoctrinez pas avec la viande halal ou casher, épargnez leur les curés, les pasteurs, les imams et les rabins, ne leur coupez pas le prépuce pour les marquer à vie, laissez les grandir et choisir quand ils seront adultes !
C’est ainsi que le jour de leur mort, ils auront toutes les chances d’avoir une dernière cérémonie qui leur ressemble.
La laïcité, c’est aussi cette liberté.
(1) http://www.cef.fr/catho/vieglise/stats/stats_bapteme.php
(2) http://www.monde-diplomatique.fr/2001/09/VIDAL/15587
(3) http://fr.answers.yahoo.com/question/index?qid=20070827114628AAigsKg&show=7