
A quelques heures de la grande cérémonie d’investiture du nouveau président des Etats-Unis, je me suis assoupi et, tel Martin Luther King (1), en 1963, j’ai fait un curieux rêve.
Nous étions à la veille des élections présidentielles françaises, en 2012, et un homme de couleur était sur le point d’être élu. Inconnu en 2009, il était aujourd’hui l’homme le plus célèbre de France, et les sondages prévoyaient sa victoire dès le premier tour.
La vie de Gaston Diarra avait basculé en ce jour de janvier 2009. Eboueur de profession, né en France, fils d’un ouvrier tchadien, travaillant dans l’automobile, et d’une mère au foyer espagnole, il avait quitté l’école sans qualification, et travaillait comme éboueur dans une petite ville de la banlieue parisienne. Il vivait dans une cité aux mains des dealers, des voyous, des islamistes, et avait vu, au fil des années, les « Français de souche » quitter les lieux, et une nouvelle population apparaître.
Il avait subi les émeutes de 2005, et se montrait surpris de la passivité des policiers. Il avait pleuré de rage quand, au petit matin, pour aller travailler, il avait découvert sa voiture incendiée. Il n’avait pu retenir sa colère quand il avait vu l’école, dans laquelle étudiaient ses deux jeunes fils, brûler quelques jours plus tard.
Sa vie avait basculé quand son épouse, Sophie, caissière dans un super-marché, avait acheté, pour la première fois de sa vie, à l’insu de son mari, un billet du Loto. Pour un coup d’essai, ce fut un coup de maître, ils gagnèrent le gros lot : 5.000.000 euros !
Ils décidèrent alors de quitter la cité où ils vivaient, et d’acheter un pavillon paisible, dans une petite ville de province. Ils découvrirent alors avec surprise une vie qu’ils n’avaient pas imaginée. Les gens leur disaient bonjour. Le soir, il n’y avait pas de rodéos qui empêchaient les voisins de dormir. Il n’y avait plus de regroupements de jeunes menaçants, à l’entrée des cages d’escalier, qui toisaient du regard ceux qu’ils croisaient en crachant par terre. Ses enfants se mettaient à bien apprendre à l’école. N’ayant plus besoin de travailler pour vivre, Sophie et Gaston décidèrent de s’inscrire à l’université, et de suivre des cours par correspondance. Ils avaient une soif de savoir, et avaient envie de mieux comprendre le monde dans lequel ils vivaient.
Ils parlaient entre eux comme jamais. Ils eurent la chance de rencontrer un voisin, un vieil instituteur laïque, très érudit, qui compléta ce qu’ils apprenaient à l’université. Ils passaient des heures à discuter avec le vieil homme, qui les fascinait par sa grande culture historique, et un discours politique qu’ils avaient du mal à situer. Ce monsieur affirmait aimer la France, et détester l’extrême droite. Il se disait universaliste, et pensait pis que pendre de l’Union européenne. Mais les échanges entre eux étaient passionnants. Gaston et Sophie sentaient bien que cet homme, qui acceptait la contradiction avec un grand plaisir, allait avoir son importance dans leur nouvelle vie.
Grâce à ces discussions, et à la fréquentation de l’université, ils commencèrent à acquérir une culture littéraire, scientifique, économique et politique, rattrapant le temps perdu à l’école.
Rapidement, Internet et l’informatique n’eurent plus de secret pour Sophie, tandis que Gaston se passionnait de plus en plus pour la politique, au cours de discussions interminables avec son voisin. L’ancien éboueur avait toujours eu une grande facilité d’élocution, et il impressionnait de plus en plus son vieux voisin par son sens de la réplique et son a-propos.
Mais il avait beau regarder dans l’ensemble de l’échiquier, il ne trouvait rien de satisfaisant. Gaston, qui avait travaillé toute sa vie, et avait reçu de son père une éducation stricte, ne supportait pas plus les injustices sociales, les profits démesurés des actionnaires, les stock-options des patrons et les parachutes dorés des P.D.G. des grandes entreprises que les les tricheurs, faux chômeurs travaillant au noir. Il avait du mal à comprendre qu’on puisse gagner davantage que lui, éboueur, sans travailler, comme quelques Rmistes qu’il connaissait.
Pourtant, Gaston, après deux années d’études, sentait qu’il avait des choses à dire, fort de son expérience de travailleur pauvre, et de sa vie dans les cités.
Sophie lui installa un site, le mit en contact avec plusieurs journaux militants, dont Riposte Laïque, et eut rapidement à sa disposition un fichier de plusieurs milliers de personnes.
L’idée de génie, suggérée par Sophie, fut de faire, sur internet, un journal télévisé, tous les soirs, à partir de 20 heures, avec Gaston comme présentateur, pour commenter l’actualité.
Pendant un quart d’heure, il parlait de divers sujets. Il se concentra de longues semaines sur l’amour de la France, le pays qui l’avait vu naître, et qui avait accueilli son père et sa mère. Il évoquait la République une et indivisible, qui unissait les Français, quelles que soient leurs origines, leurs croyances philosophiques, leur race ou leur religion. Il louait ce merveilleux pays d’intégration, et n’avait pas peur de parler d’assimilation.
Il parlait de cette terre d’accueil, généreuse, qui faisait de lui et de sa femme, nés de parents étrangers, des citoyens français, à égalité de droits et de devoirs. Il s’enflammait de ce merveilleux concept de laïcité qui permettait à chacun, dans le respect de la liberté de l’autre, de croire ou de ne pas croire, et de cette magnifique phrase de Victor Hugo : « Je veux l’Etat chez lui, et l’Eglise chez elle ». Il dissertait avec passion de son amour des Lumières, de l’Occident, de la liberté de conscience, de l’égalité des hommes et des femmes. Il disait à ceux qui l’écoutaient qu’ils avaient de la chance de vivre en France, pays de la Liberté et des Droits de l’Homme, et ce quelle que soit leur nationalité.
A la surprise de Gaston et de Sophie, leur journal Internet de 20 heures gagnait, tous les soirs, des milliers de nouveaux auditeurs. On constata avec stupéfaction qu’à présent, trois millions de Français écoutaient quotidiennement l’ancien éboueur, tandis que le public désertait les journaux télévisés, faisant chuter dramatiquement l’audience.
Quand Gaston, pendant plusieurs semaines, fit de remarquables exposés, tous les soirs, sur la montée du communautariste, qui segmentait la société française, et faisait éclater l’unité de la République, ses scores d’écoute décollèrent, et passèrent à cinq millions. Quand il commença à expliquer l’enracinement des islamistes dans les quartiers populaires, et l’influence grandissante de cette religion, il atteignit parfois 10 millions d’auditeurs, et ce fut la panique à TF1. Ils eurent beau rappeler Poivre d’Arvor en urgence, en quelques semaines le taux d’audience du journal télévisé était passé sous les 10 %, et les publicitaires ne voulaient plus payer les sommes qu’ils déboursaient à l’époque où 30 % des téléspectateurs regardaient le journal de 20 heures.
L’amour de la France, que Gaston Diarra rappelait tous les soirs, sonnait comme une douce musique aux oreilles de millions de Français qui, depuis des années, n’entendaient qu’un seul discours : la France, c’est ringard, c’est fini, c’est raciste, c’est colonialiste, c’est archaïque, vive l’Europe, vive les régions !
Le vieil enseignant, qui avait fait autrefois de la politique, le conseilla pour structurer un réseau, et affiner un discours cohérent, susceptible de réveiller les Français.
Gaston se mit à parler de l’Union européenne. Son discours fit un malheur. Il démontrait la réalité de la construction européenne, les amendes et condamnations ahurissantes que notre pays devait payer, la volonté de briser la France, l’arrogance des commissaires européens, la société qu’ils nous préparaient. Il faisait à présent, tous les soirs, des appels vibrants pour que la France sorte de l’Europe et retrouve sa souveraineté.
Il y mettait tellement de cœur que, de plus en plus, les discours de Gaston se transformaient, dans les jours qui suivaient, en jacqueries contre le système. Ainsi, ses supporters décrochèrent, en une soirée, dans les 36.000 communes françaises, les drapeaux européens, et mirent à la place des drapeaux français. Daniel Cohn-Bendit, éructant de rage, porta plainte contre lui pour xénophobie.
Quand Gaston se mit à parler de l’école, cela fut un séisme. Il s’indigna que les élèves, en France, puissent insulter impunément leur professeur. Il rappela qu’une bonne claque ne faisait jamais de mal à un gamin. Un soir, il encouragea les enseignants à ne plus se laisser intimider par leur hiérarchie, par les parents d’élèves, par les syndicats, par des gamins, par les pédagogistes. Il les appela carrément à une journée de révolte, par une autre méthode qu’une grève sans lendemain. Il leur suggéra de mettre une bonne claque, un bon coup de pied au derrière, à tous les gamins qui leur manqueraient de respect. Et il encouragea les policiers à refuser de prendre les plaintes des parents d’élèves.
Le lendemain, ce fut une journée mémorable dans toutes les écoles françaises : se vengeant d’années d’humiliations et de frustrations, les enseignants distribuèrent des claques par milliers, dans toute la France, à tous les gamins insolents et grossiers qui leur manquèrent de respect. Quant aux policiers, ils infligèrent une amende aux parents qui venaient porter plainte contre l’enseignant, pour procédure abusive.
Quand Gaston parla à ces mêmes policiers, un autre soir, disant qu’il était inacceptable qu’ils se fassent insulter quotidiennement par les racailles (il osa utiliser le mot), et qu’il les encouragea, eux aussi, à sortir la boîte à gifles, ce fut le sauve qui peut chez beaucoup de jeunes délinquants, qui comprirent que la peur était en train de changer de camp, et qu’on ne pouvait plus caillasser les keufs sans risquer une bonne dérouillée. Policiers comme enseignants, humiliés des années durant par le discours de la bien-pensance, et le sentiment d’impunité des jeunes, reprenaient confiance en eux, et ne craignaient plus de se faire respecter.
La classe politique était affolée, mais impuissante. La gauche et l’extrême gauche qualifièrent Gaston d’adepte du Front national. Sarkozy et les siens voulurent le faire passer pour un dangereux révolutionnaire, qui voulait mettre la France à feu et à sang. Le journal « Le Monde » lui consacra une page entière, le qualifiant de populiste et de démagogue. Dans les banlieues, les indigènes de la République et les islamistes le traitèrent de collabo du colonialisme, et de harki. En vain !
Tous les soirs, la France écoutait Gaston Diarra, et reprenait courage. Chacune de ses interventions, de ses révélations, mobilisait de plus en plus les foules en colère. C’était toute la mondialisation libérale qui était remise en cause, par le nouveau venu, qui parlait de choses aussi différentes que de la Nation, des services publics, de la République, de la nationalisation de l’eau, de l’augmentation de tous les salaires, de l’école publique, lieu de transmission des savoirs, du refus de l’assistanat, de la défense du salariat, de droits des femmes, de l’atout du nucléaire pour la France, du coût exorbitant des éoliennes, de la valorisation du travail manuel, de l’inutilité des licences de psychologie et de sociologie, du refus de la dictature des diplômes. Il tenait des propos très anti-capitalistes, mais aussi un discours républicain et social, de respect du bien commun et d’attention aux autres.
Affolé, Sarkozy appela Besancenot, et lui proposa un marché. Il lui offrait un grand débat télévisé, à 20 h 35, sur la deux, contre Gaston. Il encouragea le facteur de Neuilly à être bon, pour remettre à sa place ce nouveau venu qui perturbait le jeu politique bien huilé du pays. Ravi de l’aubaine, Besancenot accepta, sûr de lui et de son aisance médiatique. Grosse erreur !
Le numéro habituel du défenseur des travailleurs, et du pourfendeur du capitalisme vola en éclats face à Gaston. A chaque fois que Besancenot disait quelque chose, il se faisait ramasser. Quand le facteur attaqua les capitalistes, l’ancien éboueur lui fit remarquer qu’il était leur meilleur allié en réclamant la régularisation de tous les sans-papiers, et en se battant pour une immigration massive, en période de chômage de masse. Quand Besancenot commença à protester, Gaston le cloua sur place en lui disant : « T’es bien gentil, toi tu as la garantie de l’emploi, les sans-papiers que tu défends ne bosseront jamais à La Poste, il faut être français. Par contre, mes copains chômeurs, c’est à eux qui tu fais un petit dans le dos ! » Il lui fit remarquer qu’il était une aubaine pour les capitalistes et les patrons, et qu’il contribuait à baisser les conditions de travail des ouvriers français et étrangers.
Héberlué, le porte-parole de la LCR essaya de gagner Gaston à sa cause sur le droit de vote des étrangers. Ce dernier ne le laissa pas finir. « Je vais te dire, Olivier, mon père et ma mère ont fait l’effort de devenir Français, ils ont obtenu la nationalité, ils ont envoyé un message à la France. Dès qu’ils ont été Français, ils ont voté. Pourquoi celui qui ne fait pas cet effort aurait-il les mêmes droits ? »
Gaston parla de la vie quotidienne des pauvres, dans les cités, de la violence juvénile, de sa voiture incendiée, de l’impossibilité pour ses enfants d’étudier à l’école publique. Il accusa Besancenot et son discours démagogique d’être responsable de cette situation. Il le pulvérisa sur ses manifestations avec les fascistes islamistes.
Il achèvera le facteur en lui demandant pourquoi il haïssait tant la France, et pourquoi il était incapable de dire qu’il aimait son pays, comme lui, Gaston, un enfant de Tchadien et d’Espagnol, l’aimait.
Ce débat fut une débâcle pour le facteur, qui quitta l’émission groggy. Plus personne n’osa affronter Gaston sur un plateau de télévision.
Sollicité par tous ceux qui se reconnaissaient dans son discours, il créa, en janvier 2011, deux ans après le début de son aventure, un mouvement, « Reconquête Républicaine ». Rapidement, des comités se mirent en place dans toutes les villes. Les sondages commencèrent à affoler la classe politique. En juin 2011, 10.000 maires avaient déjà envoyé leur signature de soutien à Gaston, pour la prochaine présidentielle, alors que celui-ci n’avait rien demandé. Des mouvements racistes essayèrent de lancer une campagne de calomnies contre Gaston, mais cela eut, encore une fois, l’effet contraire.
Le vieil instituteur était devenu son directeur de campagne. Tous les meetings firent un tabac. En introduction, on chantait « Ma France », de Jean Ferrat (2). Les salles étaient pleines à craquer tous les soirs, mais ce n’était pas le public habituel qui venait. Des déçus de tous les partis reprenaient confiance en la politique. Gaston avait un public très populaire. Ils scandaient souvent les mêmes slogans : « Cela suffit, l’Union européenne », « Ils gouvernent depuis trente ans, ils ont ruiné la France, dehors, dehors, l’UMP-PS » « Gaston président ». Des drapeaux bleu blanc rouge décoraient la salle. La Marseillaise (3), et le chant des Partisans (4), chantés à pleins poumons, ponctuaient toutes les réunions.
A une semaine du premier tour, les sondages étaient incroyables : Gaston Diarra était crédité de 55 % des voix, Nicolas Sarkozy de 20 %, Martine Aubry de 12 %, Besancenot de 2 %, Marine Le Pen de 2 %, Marie-George Buffet de 1 %, aucun des dix autres candidats ne dépassait 1 %.
La France, trois ans après les Etats-Unis, allait avoir son premier président de couleur… et je n’avais pas envie de finir ce beau rêve en me réveillant trop vite !
(1) http://fr.youtube.com/watch?v=iEMXaTktUfA
(2) http://fr.youtube.com/watch?v=guYdxt3YLB4
(3) http://fr.youtube.com/watch?v=fqZ4GQ5ZPME&feature=related