
Interview de Pierre Cassen, animateur de Riposte Laïque qui nous présente un livre écrit par la rédaction de Riposte laïque
Medias Libres : Dans votre dernier numéro, vous avez annoncé la sortie d’un livre, « Les dessous du voile », écrit par votre équipe de rédacteurs. S’agit-il d’un recueil d’articles déjà parus ou d’un nouveau projet ?
Pierre Cassen : Nous aurions pu effectivement faire un livre d’un ensemble d’éditos de Cyrano, ou bien des meilleurs articles de chacun d’entre nous, voire un ouvrage spécial sur la Halde (cela nous démange), suite à la série de textes que nous avons publiés sur ce machin qui nous coûte 11 millions d’euros par an. Mais cela aurait-t-il eu du sens de faire un livre recueillant des textes déjà publiés sur le net ? Nous avons décidé, le 12 juillet dernier, à l’occasion d’une réunion de notre rédaction, de sortir un ouvrage qui amène davantage que la seule lecture hebdomadaire de Riposte Laïque. Nous savions que 2009 allait marquer le vingtième anniversaire de la première affaire du voile, en France. Nous connaissions des équipes enseignantes qui ont été confrontés à cela, depuis cette époque. Il n’y avait plus qu’à se mettre au travail, en partant de 1989, pour tenter d’expliquer comment la gauche avait pu se tromper à ce point, et comment, dans le pays de la laïcité, l’offensive de l’islam a-t-elle pu se dérouler avec aussi peu de résistance, depuis vingt ans.
Medias Libres : Pourquoi ne pas avoir fait paraître les chapitres de ce livre sous forme d’articles en ligne et avoir choisi la forme du livre ?
Pierre Cassen : Je pourrais répondre par une pirouette, en vous disant que nous aimons les défis, et que cela en était un de taille. Mais la vérité est ailleurs. Nous souhaitions proposer une réflexion d’ensemble, cohérente, dans des articles plus longs, ce que la lecture sur écran ne permet pas. Nous savons que de nombreux livres ont déjà été écrits sur la laïcité. D’autres livres, que nous mentionnons à la fin de notre livre, montrent, de façon différente, la réalité de l’offensive de l’islam en France. Mais il nous semble qu’il manquait un historique de cette attaque, et surtout une vision laïque et républicaine de la société que nous voulons… et de celle que nous ne voulons pas. Nous ne cachons pas notre inquiétude, sur l’évolution de la société française, ces vingt dernières années, et surtout pour les années qui arrivent, si un coup d’arrêt n’est pas donné.
Medias Libres : Pouvez-vous expliciter le choix du titre, « Les Dessous du voile » et le sous-titre « 1989-2009, vingt ans d’offensive islamique contre la laïcité » ?
Pierre Cassen : Les libidineux seront déçus, on ne parle pas des dessous affriolants. Le voile ne nous paraît que la face visible d’une offensive bien plus ample, et ce sont ces dessous dont il faut parler. En 1979, Khomeiny a dit : « Nous exporterons l’islam partout ». C’est ce que ses disciples essaient de faire, en France, et dans de nombreux pays européens. Nous avons voulu montrer que Creil était le premier test marquant de cette entreprise, en France. Les islamistes ont tâté les biceps de la République. Leur mollesse les a encouragés à aller plus loin. On ne peut pas comprendre, aujourd’hui, l’audace des revendications communautaristes des militants islamistes si on n’a pas cela à l’esprit. Tariq Ramadan parle d’exploiter toutes les interstices de la République. Les prédicateurs musulmans savent qu’il faut aller par petits pas, ne pas tout demander, ne pas attaquer frontalement, se réclamer de la laïcité, mais c’est un double langage. Ils ont un véritable objectif : que les lois de l’islam, la charia, se substituent petit à petit à celles de la République. L’exemple britannique, que Rosa Valentini a fort bien décortiqué dans ce livre, est éloquent.
Medias Libres : La présentation que Cyrano a fait de votre ouvrage dans le dernier numéro de Riposte Laïque montre qu’une partie de celui-ci est constituée de témoignages. Pourquoi avoir choisi cet angle d’approche ?
Pierre Cassen : Il y a des témoignages, mais seulement au début de cet ouvrage. Celui de trois équipes enseignantes de Vendôme, Flers et Lyon. Je témoigne, personnellement, sur deux périodes que j’ai bien connues, la bataille pour une loi contre les signes religieux à l’école, en 2003-2004, et les enjeux du procès de Fanny Truchelut, en 2007. Brigitte Bré Bayle parle, elle, de la réalité de Marseille, et de la visibilité de plus en plus grande de l’islam, avant même la construction de la Grande Mosquée. Cela constitue les deux premières parties du livre. Les trois dernières tentent d’expliquer vingt ans de capitulations, et abordent l’islam et le féminisme, avec les plumes de militantes connues dans le milieu féministe comme Annie Sugier, Anne Zelensky et Michèle Vianès. Cette dernière, bien que non membre de la rédaction, a tenu à apporter sa contribution à notre livre. La dernière partie évoque l’islam et la République. Il nous a semblé complémentaire de cumuler témoignages personnels et analyses, car un livre sans réalité du vécu est souvent un peu déshumanisé.
Medias Libres : Ne craignez-vous pas, dans ce livre, qu’on vous reproche de trop parler de l’islam, et pas suffisamment des autres religions, comme vous le reprochent fréquemment certains milieux laïques et beaucoup de milieux de gauche ?
Pierre Cassen : Ce reproche, dont nous avons l’habitude, sert souvent de prétexte à nos détracteurs pour mieux masquer leur complaisance, ou leur absence de réactions, face à la montée de l’islam. Dans notre pays, il est « laïquement correct », au nom du « tout se vaut », de noyer le poisson, et de faire croire que toutes les religions sont aussi agressives que l’islam, en 2009, en France et en Europe.
Nous n’avons aucune complaisance pour les intégristes catholiques, les intégristes juifs, les sectes et d’autres illuminés. Mais il suffit de lire le rapport Obin, il suffit de se promener dans les rues des grandes villes, il suffit de suivre l’actualité. Alors que la société civile, en France, ainsi que les luttes féministes, a contraint l’Eglise catholique à admettre, grâce au rapport de forces, les principes laïques, quelle est la religion qui, aujourd’hui, mène la contre-attaque, si ce n’est l’islam ? Le Pape, dernièrement, disait : « Grâce à l’islam, Dieu est de retour en Europe ». Sans l’offensive de l’islam, y aurait-il tous ces voiles en France ? Y aurait-il toutes ces demandes de financement de lieux de culte ? Y aurait-il ces demandes de réfection d’hymens ? Y aurait-il des demandes de constructions de mega-mosquées dans des grandes villes comme Marseille, Bordeaux et autres ? Y aurait-il des attentats dans le monde entier ? Y aurait-il ce qui se passe à l’Onu, où on veut nous interdire de critiquer cette religion ? Le mouvement anti-raciste aurait-il connu cette dérive ? Robert Redeker et Mohamed Sifaoui verraient-ils leur vie menacée, Theo Van Gogh aurait-il été assassiné ?
Peut-on se réfugier en permanence dans le discours facile de la religion d’amour et de paix, uniquement pervertie par les méchants intégristes ? Autrement dit, y a-t-il le bon islam, et le méchant islamisme ? Eh bien, n’en déplaise aux censeurs du politiquement correct, ce sont toutes ces questions que notre livre veut aborder.
Medias Libres : Vous montrez que la laïcité est en danger à cause des attaques de l’islam. Avez-vous identifié les responsables de la situation ?
Pierre Cassen : Nous expliquons que l’islam n’est pas la seule Eglise à attaquer la laïcité. Pour nous, cette religion est le fer de lance d’une offensive anti-laïque encouragée par les tenants du système économique, et ses relais politiques. C’est parce qu’on multiplie le financement déguisé de constructions de mosquées (il y en avait cinq en 1965, il y en a maintenant plus de 2000, et 200 projets sont en attente) que les évangélistes réclament à leur tour le financement public de leurs temples. Les responsables, nous les citons régulièrement, mais je ne vais pas me priver de vous donner quelques avant-goûts de ce que vous pourrez lire : nous mettons dans le même sac la gauche bien-pensante et compassionnelle, et la droite libérale. C’est toute la gauche, à de rares exceptions, qui s’est couchée, en 1989. Et ce ne sont pas les déclarations de Nicolas Sarkozy, à Latran, Ryad ou devant le Crif, qui vont nous rassurer. Pour autant, nous savons qu’à gauche comme à droite, il y a des vrais militants laïques, qui ne sont fondamentalement attachés à la loi de 1905, qu’il faudrait d’ailleurs renforcer, car elle ne nous protège plus suffisamment.
Il est de bon ton, à gauche, d’attaquer Sarkozy sur la laïcité positive. Mais c’est de ce camp qu’est venu le terme de « laïcité ouverte ». Qu’ont fait les directions du Mrap et de la LDH, si ce n’est de la laïcité positive vis-à-vis de l’islam ? Que penser des élus, PS ou UMP, qui réclament l’élargissement du statut cultuel d’Alsace-Moselle (que nous souhaiterions voire abrogé) aux musulmans, n’est-ce pas de la laïcité positive ? Que penser des élus locaux, qui pleurnichent que l’Etat ne leur donne plus de moyens, et qui trouvent des sous pour financer les constructions de mosquées ? Vous voulez que je vous parle de la politique de Martine Aubry à Lille ? Comme laïcité positive, on fait difficilement mieux. La passivité, et parfois la complicité, des élites, de gauche comme de droite, de la société française devant les attaques répétées de l’islam contre la laïcité, est accablante. Elle contribue à creuser le fossé entre les aspirations populaires et les dirigeants de ce pays.
Medias Libres : Selon vous, au-delà de la laïcité, c’est la République même qui vacille. Votre livre permet-il de le comprendre ?
Pierre Cassen : Plusieurs articles, dans la deuxième partie, aident à une bonne compréhension. Gabrielle Desarbres explique l’offensive libérale des années 1980, dans le monde, et ses répercussions en France. Le système veut en finir avec le modèle social issu de la Résistance, pour mieux privatiser un maximum d’activités humaines, livrées à la concurrence et donc ouvertes au marché. Les services publics à la Française, les idéaux égalitaires de la Révolution française, la République une et indivisible sont des obstacles à tous ces projets, venus des pays anglo-saxons. Tout ce qui permet de segmenter la société française, et de remplacer les solidarités sociales, qui rassemblent, par le communautarisme, qui divise, est une aubaine pour les libéraux. C’est aussi un tremplin pour l’extrême-droite, comme le montre Christine Tasin. L’arrivée de l’islam, dans ce contexte, ne fait que compléter d’autres revendications communautaristes, linguistiques, régionalistes, et contribuent à disloquer le lien social. Robert Albarèdes n’hésite pas à aborder également la question taboue de l’immigration, en montrant comment le patronat a utilisé une immigration, qui n’est pas étrangère à la montée de l’islam en France, pour mieux faire pression sur les acquis sociaux des salariés de ce pays.
Medias Libres : Vous expliquez, vous dénoncez, vous avertissez, mais cela ne suffit-il ? Proposez-vous des pistes pour échapper aux dangers qui, selon vous, nous menacent ?
Pierre Cassen : Nous ne sommes pas un parti politique, ni une nouvelle organisation laïque, nous ne sommes qu’un média animé par quinze bénévoles qui souvent travaillent, et ont d’autres activités. Nous sommes une toute petite PME, qui se veut le grain de sable du « laïquement correct », et c’est pourquoi nous faisons un journal lu par 25.000 abonnés tous les mardis, et que nous nous sommes lancés dans ce projet de livre. Aujourd’hui, aucun parti politique n’a le courage de dire ce que nous écrivons, alors que nos écrits sont en phase avec ce que pense la majorité des citoyens de ce pays. Villiers a essayé ce registre, mais les Français ne peuvent s’identifier à un adversaire de l’avortement, souvent proche des fondamentalistes catholiques, cela ne marche pas. Des franges de l’extrême droite fricotent ouvertement avec les islamistes (on a vu Le Pen aux 30 ans de la Révolution iranienne). Sarkozy renvoie dos-à-dos l’islamophobie et l’antisémitisme ! La gauche et l’extrême gauche parlent laïcité quand il s’agit d’allumer le Vatican et Sarkozy (ce qui ne nous dérange absolument pas) et sont aveugles, voire complaisantes, avec les islamistes. Que des militants aient manifesté avec les fous d’Allah, avec les drapeaux du Hamas, mêlant l’Internationale aux « Allah Akbar », ces dernières semaines montre l’ampleur de la dégénérescence laïque de pans entiers du « camp progressiste ».
Alors que faire ? Jouer l’opinion contre les élites, et encourager les citoyens à utiliser tous les droits que leur donne notre constitution. Les maires disent qu’ils n’ont plus de sous ? Empêchons-les de financer les cultes ! Il faut imposer un vrai débat sur les constructions de mosquées dans notre pays, qui continue, et entend marquer durablement l’espace public, sans aucune consultation des citoyens. Il faut aider des députés comme Jacques Myard ou Françoise Hostalier, quand ils proposent de bons projets de loi pour protéger les femmes musulmanes des contraintes qu’on leur impose, et défendre la laïcité dans les services publics. Jusqu’à quand va-t-on accepter la burqa en France ?
Nous sommes convaincus que le peuple de France, qui est un peuple rebelle (il l’a montré, entre autres, le 29 mai 2005) n’acceptera pas que le combat mené par nos ancêtres contre l’hégémonie de l’Eglise catholique soit trahi par ceux qui aident l’islam à envahir de plus en plus l’espace public. Notre rôle, à Riposte Laïque, dont la majorité des contributeurs vient de la gauche, et se reconnaît dans ses valeurs, est d’alerter, de refuser la culpabilisation des biens-pensants, et d’encourager les citoyens à s’organiser pour agir. Le sens de ce livre est d’être un outil pour les aider à argumenter, et à ne pas se laisser intimider par les accusations classiques, le coup du racisme et du colonialisme, de la religion des pauvres et des opprimés, voire du choc des civilisations. Il faut décomplexer le discours, pour mieux combattre l’offensive d’un totalitarisme politico-religieux qui menace tous nos acquis : liberté d’expression, liberté de conscience, laïcité, égalité hommes-femmes.
Les dessous du voile, 1989-2009, 20 ans d’offensive islamique contre la République laïque, par Cyrano et l’équipe de Riposte Laïque
Vous pouvez le commander dès maintenant. Jusqu’au 15 mars, prix de lancement : 12 euros, plus 4 euros de frais de port, soit 16 euros. Passé cette date, le prix sera de 19 euros, frais de port compris.
Envoyer les chèques à l’ordre de Riposte Laïque, Boite postale 82035, 13201 Marseille, Cédex 1
Paru dans Médias Libres, vendredi 27 février 2009
http://www.mediaslibres.com/tribune/post/2009/02/27/Les-dessous-du-voile