Ayten Ozdemir : d'origine turque, je dois tout à la France, je veux qu'elle reste laïque

Bonjour à tous,
Nous sommes réunis ensemble en ce lieu pour dire, entre autres, notre désapprobation de la lapidation et notre adhésion à la liberté d’expression. Mais je suis également présente pour vous dire mon attachement aux valeurs du vivre ensemble de la République, et vous dire à quel point, je suis décidée à les défendre, face aux menées islamiques qui cherchent à les saper.
Je suis particulièrement bien placée pour en parler, car j’ai vécu ce système, fermé à toute émancipation et à toute critique, de l’intérieur. Je m’appelle Ayten. Je suis née et j’ai vécu en Turquie jusqu’à l’âge de 8 ans. Plus que par mes yeux de petite fille qui n’était pas encore capable de discerner le négatif, je vous décrirai la Turquie avec mes yeux d’adolescente qui y retournait régulièrement en été.
Ce qui frappait, et frappe encore, par rapport à la liberté de circuler existant en France, c’est le fort communautarisme présent en Turquie, séparant d’un côté, les musulmans sunnites, des musulmans alévis. Je ne vous ferai pas là un cours de théologie, mais pour faire bref, la pratique de l’islam alévi est moins rigide que le sunnisme. Cette différence est souvent apparue comme impardonnable aux yeux des théologiens sunnites, ce qui fait que l’alévisme est désigné comme une hérésie.
La conséquence de cette façon de penser fût que, comme ailleurs, les hérétiques furent persécutés durant les siècles. Mais comme on ne peut pas se battre en permanence, cette hostilité a abouti à un partage de l’espace turc entre communautés. Ainsi encore aujourd’hui, des régions sont réputées pour être davantage une concentration d’alévis, et d’autres de sunnites ; des villages sont alévis et d’autres sont sunnites. Même dans de grandes métropoles, comme Ankara, vous avez ce compartimentage des quartiers. Heureusement, avec la poigne de fer laïque du fondateur de la Turquie, Atatürk, ces violences communautaires ont quasiment cessé. Mais l’hostilité, la méfiance réciproques, elles, n’ont pas tout à fait disparu.
Simplement 3 exemples :
• – quand en 1988, avec mes parents, nous avons visité le sud de la Turquie, nous avons dû traverser la ville de Konya, fief d’intégristes. Suite aux consignes alarmistes de mes parents, ma sœur et moi habillées pourtant avec décence, mais voulant conserver les bras nus, vu l’été très chaud, nous avons dû nous cacher au pied des sièges de notre véhicule, pour ne pas être vues par les habitants. Aperçues, nous aurions eu droit, au mieux à des quolibets sexistes, de mâles qui auraient laissé leurs pulsions se lâcher, au pire à des insultes agressives, parce que nous aurions été perçus par ces malades, comme des filles de mauvaise vie.
– les violences ont quasiment cessé, vous avais-je dit ; en fait, pas tout à fait. Ainsi, le 2 juillet 1993, à Sivas, 35 intellectuels et artiste alévis ont été brûlés vifs dans un hôtel, par des intégristes islamistes. Leur tort ? Justement de vouloir défendre la laïcité et de contribuer au développement de la démocratie en Turquie, et … d’être alévis.
– aujourd’hui encore, et même en France, lorsque nous faisons connaissance de Turcs, nous déterminons assez vite, par de petits détails, si notre interlocuteur est sunnite ou alévi. Et en fonction de sa marque communautaire, nos propos échangés ne seront pas les mêmes. Une méfiante autocensure s’établira.
Voilà pour toutes ces raisons évoquées, je ne veux pas que le pays de mon fils, la France, se communautarise. Et pour éviter cela, luttons pour maintenir la laïcité à la française, qui doit contenir les différentes religions à la maison.
Pour finir, je voudrais souligner à quel point la religion musulmane a une très forte emprise sur les mentalités ; mes parents étaient pourtant, bien que croyants, fort peu portés sur les pratiques religieuses. Cela ne les a pas empêchés de mieux considérer leurs fils, que leurs filles ; puis, lorsque nous, les filles, nous eûmes atteint l’âge de la puberté, ils nous interdirent d’aller à la piscine ; il nous fût alors interdit de dire bonjour aux garçons ; les tâches ménagères étaient pour nous sous le regard tranquille des frères confortablement installés.
Tout cela pour bien nous rappeler qu’il faut poursuivre la lutte en faveur de l’émancipation des Sakineh et des jeunes filles de culture musulmane, et que cette lutte passe évidemment par la critique de tous ces versets machistes contenus dans le coran. Je remercie encore le lycée public et laïc dans lequel je me suis retrouvé en internat. C’est cette possibilité d’ouverture qui m’a sauvée, me permettant de m’émanciper.
Encore merci à la laïque, et merci à vous d’avoir le courage de vous battre. Cela en vaut vraiment la peine.
Ayten Ozdemir